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Christian Lefevre sculpture
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2 décembre 2012

perte et absence

Perte et absence

 

Rien n’est plus étranger à la nature que le paysage. Celle-ci ne se laisse pas facilement pénétrer, chaotique assemblage minéral et végétal, enchevêtrement touffu ou étendue stérile, elle demeure hostile. La jungle, mais aussi le taillis, la steppe sont inhospitaliers, ils témoignent d’une brutalité originelle où les notions de bien, de mal, de beau ou de laid sont absentes. La nature est. L’homme plongé dans cet environnement périt ou s’évertue à l’organiser, à l’humaniser. Il faut trouver des solutions. ainsi face au désordre offert par la nature, nous nous efforçons de proposer des aménagements. Pourtant nous en sommes une composante, mais elle agit sur nous comme un corps étranger. Elle nous oppose un questionnement continuel. Quelle est notre place, comment agir ? Dans ce cas il devient nécessaire de lui payer de lourds tributs pour espérer inventer un chemin qui nous conduira, en toute conscience, en son sein. Se réconcilier apparaît être une tache fort prenante. Pour édifier cette route, la passerelle nous reliant à l’univers et nous rendant ainsi la vie possible, tous nos commentaires et toutes nos tentatives d’explication sont indispensable. Faire paysage apprivoise le monde.

Le paysage, longtemps considéré comme un genre mineur, a acquis au cours de l’histoire ses lettres de noblesse. En regard de la peinture d’histoire ou religieuse qui a dominé l’Académie au classicisme, il s’est peu à peu imposé comme pratique majeur, pour devenir avec l’impressionnisme l’expression de la modernité. Le paysage est une nature organisée, une nature humanisée. On pourrait le comparer au jardin. Que montre-t-il ? Des arbres, le ciel, des espaces agencés de telle manière qu’ils puissent provoquer la délectation chez un spectateur. Mais aussi qu’évite-t-il de mettre en lumière, qu’occulte-t-il ?

On constate au 17°siècle que le paysage représente certes un lieu avec ses caractères champêtres, mais qu’il exprime également autre chose. On sent une absence, une perte. La peinture a évolué. Auparavant l’espace était marqué par l’architecture. Grâce à l’art de bâtir, l’humanité a marqué son environnement, et c’est à l’adresse des dieux que sont édifiés les temples. La première réponse avancée pour établir le lien entre l’homme et le monde, s’appuyait sur la métaphysique, qui elle-même se visualisait dans l’architecture. La colonne, le chapiteau, le linteau constituent le vocabulaire qui a permis de marquer le territoire. De l’antiquité à la renaissance les exemples foisonnent. Puis les mentalités changent, le divin disparaît au profit d’un lien plus intime entre l’individu et le monde et peu à peu le paysage s’impose. Il détrône ainsi l’architecture, même si parfois on constate la représentions de traces de construction. Il suffit de regarder H. Robert. Ses ruines renforcent l’absence du divin, elles annoncent la fin d’un cycle. L’homme est confronté en douceur à la perte d’une solution. Pas de menaces ni de drames dans ses tableaux.

Dans ces lieux d’espoir on jouit de la lumière, de la douceur du vent, de la paix du temps qui passe. Le paysage est plus proche du jardin que de la jungle. C’est l’Eden sans la métaphysique. L’harmonie du monde agit comme rédempteur de l’humanité, la bonne nature sauve l’individu de l’avilissement et de la corruption alors que la civilisation pervertit tout. On voit l’influence des philosophes comme Rousseau.

Mais chez nos contemporains la foi dans le progrès s’est altéré. Et la perte du divin s’est prolongée par l’absence de l’humain. Les paysages harmonieux du 18° et du 19°, où le spectateur trouvait du plaisir en s’amendant, ont été remplacés par d’aimables vitrines dont les qualités ne cachent pas la difficulté d’habiter et de concevoir la nature. Il est à noter que la différence entre le paysage représenté, le tableau, et le site naturel rencontré au hasard d’une promenade tend à s’estomper dans une discussion courante. L’un et l’autre se superposent pour aboutir à une confusion des genres. Souvent les mêmes mots et les mêmes notions sont appliqués pour décrire la représentation et le site. Ainsi l’interprétation et l’objet de cette interprétation, sont confondus et le lien s’effectue autant avec l’image qu’avec la réalité.

Pour la deuxième fois nous avons subi une perte qui a certes été compensée par un nouvel agent : le patrimoine. La conservation devient le maître mot lié au paysage, Il se crée des réserves naturelles. Il est nécessaire de protéger, d’enregistrer ce que l’on redoute de perdre. Il s’érige en patrimoine. patrimoine que l’on souhaiterait universel mais qui en réalité appartient bien à quelqu’un. Notre absence d’expérience de la nature et notre mode de vie urbain ont modifié nos comportements. La consommation est devenue une valeur, et la délectation, la jouissance se fait par le truchement d’un acte marchand. Du religieux nous avons glissé vers l’humanisme puis vers l’économie.

Quels sont donc les rapports de L’homme économique avec le monde ? Comment trouve-t-il sa place et que regarde- t-il ? Au 18° siècle on donnait la définition suivante du paysage : « Pour avoir la connaissance d’une campagne il ne suffit pas de la voir tout à la fois, mais il faut en considérer chaque partie l’une après l’autre et arrêter son regard successivement ». Les éléments épars acquièrent leur valeur lorsque toutes les parties se font oublier au profit de l’ensemble. L’unité garantissant la qualité dans une perception successive. En partant de l’observation de l’histoire et dans une remise en cause de la posture contemporaine devant le paysage je mets l’accent sur les détails et les parties. La branche, la feuille sortent de leur contexte, et il devient nécessaire de déstructurer l’image globale, de ne plus regarder le paysage d’un point de vue privilégié. Regarder un paysage n’est plus uniquement se placer sur une colline et découvrir le panorama. Le refus du pittoresque conduit au morcellement du regard et chaque objet choisi prend une charge symbolique. Le fragment s’identifie à l’objet. Ainsi s’ouvrent deux pistes, le paysage témoignage d’une histoire personnelle et le paysage comme phénomène collectif.

 

La mémoire

Se souvenir est une activité bien humaine et Proust nous a montré comment un objet peut être le catalyseur de la mémoire. Le fragment végétal ou minéral tient la place de la petite madeleine. Le souvenir d’une promenade comprend la somme des informations croisées au détour du chemin, pierre, mousse, arbre. Et la multiplication et l’accumulation de ces sensations tendent à densifier l’expérience mais aussi à la relativiser. Un souvenir est riche d’une quantité d’informations variées et différentes, il se nourrit de lui-même et de ce fait il enregistre un certain nombre d’inexactitudes dont la rectification a somme tout peu d’importance. Vrai ou faut le souvenir conserve la charge émotionnelle sur laquelle s’édifie la personnalité. Prendre une pierre, une feuille, un arbre et mettre ces éléments en situation pour construire une amorce de lieu articule un processus de remémorisation. L’évocation des fragments édifie un lieu, la mémoire s’appuie sur cette action pour glisser vers l’histoire personnelle et vers la mélancolie.

Le paysage construit l’expérience individuelle. Les parties ainsi isolées possèdent le pouvoir de faire naître des réminiscences. Le rapport à l’enfance dans ces conditions, révèle toute sa puissance. Loin de regretter un Eden universel, la mélancolie nous renvoie au territoire mental de notre enfance. Elle constitue le socle d’une réflexion sur soi où le passé et la mémoire de ce passé enrichissent le présent. Mais être mélancolique ne signifie pas se complaire dans les regrets qui ne permettent pas de progresser. La mélancolie permet la transition entre son passé et le présent. Le paysage devient ainsi l’ordonnateur de la mémoire, et il accentue la rupture avec une vision globale pour renforcer le questionnement.

 

La marchandise

L’urbanisation s’accentuant, l’espace naturel perd son rôle d’espace de vie. Le paysage est transformé en objet et peut donc être acquis. Le paysage est devenu un bien à qui on a donné un acte de propriété. Pour preuve, les procès intentés par les propriétaires des volcans d’Auvergne pour obtenir des droits de reproduction. Et dans notre société où la possession est une valeur morale, on stigmatise la pauvreté. Le démunis l’est par sa faute. Celui qui ne consomme pas ne fait pas acte de civisme, tous ayant le devoir de se plier devant l’économie, le paysage est une marchandise comme une autre. La fenêtre du tableau est remplacée par le guide vert. . Le paysage dressé en objet économique édicte ses règles et multiplie ses contradictions. L’appropriation ne se fait plus uniquement par le regard, mais également par la médiation de la machine. On filme, on photographie. Il y a la volonté de rapporter le paysage chez soi, de l’avoir à domicile, sans risques, à la bonne échelle . L’accès doit être garantit à tous et chacun doit en jouir selon ses moyens. Usage par tous mais propriété de quelques-uns. La protection d’un site révèle sa perte, on ne conserve que ce qui s’éteint. Placer au musée un site naturel c’est prendre acte de son inadéquation avec les modes de vie contemporains. Ainsi rendre compte d’un paysage revient à montrer ce qui structure nos société. Faire un paysage, c’est exprimer un lieu et ses rapports avec l’organisation sociale.

 

Un outil

Si je prend comme exemple certaines de mes pièces, on constate que les moyens habituellement utilisés pour la promotion de biens marchands, comme le slogan publicitaire, sont présent. Ainsi des panneaux apparaissent. Des textes courts font leur intrusion dans l’espace sensible et de cette manière l’incurve vers un espace narratif. Donner un nom aux choses ou raconter une histoire renforcent les critiques à l’encontre d’une utilisation du paysage. Le propos se durcit, se radicalise. Quand on écrit branche auprès d’une branche, l’intention est ironique et la dérision s’invite au discours. Il naît un bredouillage redondant qui appui la critique d’un mode d’utilisation de notre environnement. Nommer une chose évidente et visible s’apparente à du sarcasme. Par ailleurs lorsqu’on nomme les choses on les ancre dans une expérience humaine d’appropriation. Le verbe fait mien l’objet. Je l’appelle par son nom et ainsi je le connais. Lorsqu’une phrase vient s’accrocher à une œuvre on y trouve la volonté de prolonger la vision par une histoire, la narration permet la mise en relation d’expressions différentes. L’image et la lettre. Le volume ne réagit pas comme une illustration du texte mais comme un regard critique. Le décalage qui s’instaure instruit le sens de la pièce. Je vois, je lis, je questionne.

 

En conclusion le paysage se signifie par la perte et par l’absence. La perte de la métaphysique et de l’humanisme a promu l’économie au rang de valeur. L’absence d’unité entre l’individu et son environnement a abouti à transformer en marchandise une idée. La lettre devient un slogan, une réclame qui pour dérisoire qu’elle soit n’en atteint pas moins son objectif : donner une lecture unique du monde. La pensée ne tend plus vers l’universalité à travers le pluralisme des individualités, mais vers l’unicité et l’uniformité de la pensée et de la perception.

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